En quelques semaines, les guerrilleros de Sa Pinto ont fait place à un commando discipliné, prêt à écouter les ordres de mission du général Preud’homme. Résultat d’un été militarisé.
Le charisme s’est habillé en polo bleu pastel. De retour sur le banc de touche de Sclessin, où il a acquis le statut de divinité locale dix ans plus tôt, Michel Preud’homme remarque rapidement que ses mots pèsent lourd dans la Principauté. La veille, au moment de préfacer la reprise du championnat devant les médias, le nouveau coach des Rouches a invoqué la puissance des tribunes du bord de Meuse : « Nous avons besoin du public dès maintenant. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous ne sommes pas encore totalement prêts. […] J’aimerais que dès vendredi, ils soient derrière nous, même si le doute s’installe dans l’équipe. Et que cela ne tourne pas en notre faveur à certains moments. »
Malmené par les Buffalos en début de seconde période, le Standard se cherche. Les tribunes, missionnées par leur gourou aux boucles grises, donnent alors de la voix. Un souffle puissant qui porte les Liégeois jusqu’à un avantage définitif, acquis grâce à un penalty de Paul-José Mpoku et un but de Renaud Emond. Apaisé par le coup de sifflet final, qu’il accueille d’une accolade avec son bras droit Emilio Ferrera, Preud’homme distribue les bons points au micro de la télévision : « Le public a répondu présent à mon appel. »
Les mots de Michel
Quand Michel parle, le supporter tend l’oreille. Et il n’est pas le seul. Le discours du patron des Liégeois frappe à tous les niveaux. Un adversaire, croisé pendant la préparation, témoigne : « Quand Emilio Ferrera s’adresse aux joueurs, tu en vois parfois deux ou trois qui sont distraits. En fait, rien qu’à l’attitude des joueurs, tu sais dire qui est en train de leur parler. Quand c’est Preud’homme qui prend la parole, ils écoutent. »
Le discours du coach des Rouches a toujours été puissant et rassembleur. Il ne fait pas seulement mouche sur le terrain. Dans les bureaux liégeois, Senna Miangue s’est laissé bercer par les mots du nouvel homme omnipotent de Sclessin. Convoité par de nombreux clubs belges, en raison d’un statut enviable de Diablotin déjà accoutumé aux joutes chevronnées du Calcio, le gaucher passé par l’Inter et Cagliari a cessé d’hésiter sur son nouveau point de chute belge après sa conversation avec Preud’homme.
MPH a également glissé quelques mots à l’oreille de Maxime Lestienne, par téléphone interposé, pour convaincre celui qu’il avait côtoyé à Bruges de le rejoindre pour une nouvelle aventure commune dans la Principauté. Mad Max a accepté, et a évoqué son entraîneur dès ses premiers mots en rouche : « À Bruges, il me donnait beaucoup de conseils, mais je ne les écoutais pas assez. J’ai une petite revanche sur moi-même à prendre vis-à-vis de Michel. Maintenant, je vais mieux l’écouter, et faire ce qu’il me demande de faire pour continuer à progresser. »
Les mots de Preud’homme semblent peser deux fois plus lourd que les autres. Avec la distance d’un manager « à l’anglaise », l’homme fort des Rouches mêle des paroles convaincantes à un discours posé, qui semble toujours éloigné de la panique qui rythme le quotidien du métier. Même quand Edmilson Junior prolonge ses vacances, ou quand Mehdi Carcela ne donne plus signe de vie alors que le Belgo-Brésilien s’envole pour le Qatar, la façade reste imperturbable.
Les courses de Renaat
« Contre nous, ils n’étaient vraiment pas bons », reprend ce témoin qui a croisé le fer avec les Liégeois voici quelques semaines. « Et pourtant, le staff est resté très calme. Ils donnaient quelques consignes, de temps en temps, toujours de façon très posée. Par rapport à l’an dernier avec Ricardo Sa Pinto, c’était le jour et la nuit. Preud’homme et Ferrera dégagent une grande sérénité. On a l’impression que tout est sous contrôle. »
Personne ne s’est inquiété des résultats délicats qui ont rythmé les premières semaines de juillet. « On n’a pas changé notre préparation pour essayer de gagner des matches. On a fait des essais », raconte Preud’homme après la victoire contre Gand.
Des entraînements appuyés ont empêché les Rouches de tourner à plein régime lors des rencontres amicales, où des expérimentations ont été faites, notamment sur une défense à trois. Mais rien n’a jamais semblé improvisé.
Les entraînements de Renaat Philippaerts, débarqué dans les valises de MPH en tant que préparateur physique, ont fait impression sur le noyau. La saison dernière, les premiers entraînements avaient parfois été difficiles, mais tout semblait se faire au feeling, et le vestiaire doutait assez ouvertement des méthodes des adjoints de Sa Pinto en la matière. Cette fois, rien n’échappe au contrôle du staff.
Le moindre sprint effectué à l’entraînement est mesuré, décortiqué et remis en contexte. Sur le plan scientifique, le Standard a fait un bond en avant conséquent avec ce changement de cellule sportive. Même quand le ballon s’ajoute à l’équation, l’improvisation passe au second plan.
Les lois d’Emilio
« C’est difficile de t’organiser contre le Standard, parce que rien chez eux ne semble organisé », confiait un adversaire la saison dernière au moment de décrire le football parfois bordélique des hommes de Sa Pinto. Ballon au pied, Guillermo Ochoa avait un rôle qui semblait limité au fait de balancer le ballon le plus loin possible de son but, en espérant que le front d’Orlando Sa ou celui de Renaud Emond permettrait de gagner une cinquantaine de mètres sur le pré.
Contre Gand, Konstantinos Laifis et Christian Luyindama se sont écartés à chaque fois que le dernier rempart mexicain amorçait une phase de relance. Dans l’espace libéré dans l’axe, c’était au tour d’Uche Agbo de décrocher pour orchestrer une relance à trois. Effacé avec le ballon la saison dernière, le Nigérian hérite d’un rôle plus important en possession de balle, que ses qualités lui permettent d’assumer avec brio. Il complète donc parfaitement le schéma de la relance fétiche d’Emilio Ferrera, qui prône un football chorégraphié dans ses premières passes pour atteindre la ligne médiane en mettant l’équipe dans des conditions idéales.
« On a changé la façon de jouer, on prend plus de risques », confirme Ochoa après la rencontre. Son coach confirme : « On essaie de bien jouer au football, d’avoir une équipe qui joue un football moderne. » Depuis leur rencontre en Arabie saoudite, Preud’homme s’est converti aux idées méticuleuses d’Emilio Ferrera. Les deux maniaques du ballon rond ne laissent rien au hasard, et s’appuient sur certains principes footballistiques bien établis.
Via Preud’homme, les idées d’Emilio Ferrera ont contaminé une bonne partie des pelouses de Pro League. Du côté de Genk, on voit par exemple Philippe Clement appliquer dès ses premiers entraînements la recette du « décrochage dans l’intervalle – pic en profondeur » professée par l’évangile d’Emilio.
Face à Bruges, le but d’Edmilson Junior, premier de la nouvelle ère Preud’homme en match officiel, naît sur une action d’école du football de MPH-Ferrera. Contre Gand, vu le départ d’Edmilson, c’est Moussa Djenepo qui s’est occupé du « pic en profondeur » quand Mpoku, posé dans un rôle de faux ailier droit qui rentrait souvent dans le jeu pour laisser le couloir à Luis Pedro Cavanda, faisait parler sa technique pour décrocher dans les intervalles et faire progresser le jeu dos au but.
Les préceptes maniaques du duo de coaches du Standard peuvent s’admirer dès le coup d’envoi. Six joueurs, en plus du botteur, sont placés sur la ligne médiane, et sprintent vers l’avant, chacun dans un couloir, pour s’installer dans le camp adverse à la réception du premier long ballon de la rencontre. Une façon de mettre, dès les premières secondes, la partie dans la poche rouche.
Les règles du jeu
Sur la pelouse de Bruges, pourtant, lors de la Supercoupe, le coup d’envoi liégeois n’a pas empêché le ballon de vivre dans les pieds des Blauw en Zwart pendant une bonne partie de la rencontre. « C’est le football de Michel. On le connaît, il s’adapte toujours à l’adversaire », murmurait-on dans le clan brugeois après la rencontre, remportée par les Gazelles sur le score de 2-1.
Preud’homme, quant à lui, pointait du doigt les habitudes de son noyau, accoutumé à jouer le contre pendant la saison écoulée sous les ordres de Sa Pinto, laissant volontiers à l’adversaire le protagonisme en matière de possession et d’initiatives collectives. Il évoquait encore les soucis de son équipe après la victoire face aux Gantois : « On met en place des règles. Des règles défensives, des règles dans la construction du jeu et des règles offensives. Et tout cela prend du temps. »
C’est sans doute au coeur du jeu que ces lois footballistiques ont été le mieux assimilées. Contre les Buffalos, malgré la présence du redoutable Giorgi Chakvetadze et le jeu long intéressant de Birger Verstraete associés au talent de Vadis Odjidja, ce sont les Liégeois qui ont fait la loi autour du rond central.
Protégés par le volume de jeu exubérant d’Agbo, Samuel Bastien et Razvan Marin ont parfaitement exploité les lignes de courses, avec ou sans ballon, ouvertes par le football scénarisé de leur duo d’entraîneurs. Les dribbles du premier et les passes du second ont rythmé les temps forts de la soirée à Sclessin. Un premier Friday Night Show conclu par une chanson forcément amenée à devenir l’un des hymnes des tribunes : « Allez Michel, danse avec nous ! »
Produits d’Italie
Pour devenir plus belge, le Standard s’est tourné vers l’Italie. Zinho Vanheusden, pourtant convoité par plusieurs clubs cet été et pas certain de rester au Standard au bout d’un premier prêt conclu avec seulement 90 minutes de jeu au compteur, a accueilli Samuel Bastien et Senna Miangue, eux aussi revenus de la Botte. Avec, pour l’instant, des fortunes diverses.
La meilleure entrée est à mettre à l’actif de Bastien, titulaire face à Gand et auteur d’une bonne prestation au milieu de terrain, ponctuée par une passe décisive et une frappe superbe, qui a contraint Colin Coosemans à sortir le grand jeu. Le Namurois semble déjà prêt pour répondre aux exigences de la Pro League. Il faut dire que, contrairement à ses deux compatriotes, il a déjà une vraie saison de Calcio dans les jambes.
Lancé à l’Inter, puis prêté à Cagliari où il ne s’est jamais vraiment imposé comme un incontournable, Miangue est pour l’instant l’une des déceptions du mercato rouche. Le grand gaucher était venu étoffer la concurrence sur les flancs de la défense, mais son profil atypique n’a pas encore convaincu les coaches liégeois. En tribunes contre Gand, il semble actuellement derrière Collins Fai et Sébastien Pocognoli dans la hiérarchie.
Quant à Vanheusden, monté au jeu en fin de rencontre pour consolider le verrou liégeois, il souffre surtout de la concurrence féroce au sein d’une défense centrale qui fait office de référence à l’échelle nationale. Quatrième choix en début de saison dernière au sein de l’Inter de Luciano Spalletti, avant sa grave blessure, il a seulement gravi un échelon en rejoignant Liège. Mais le calendrier étoffé par la lutte sur les trois tableaux devrait lui offrir des occasions de se mettre en évidence.