Des longs ballons, des duels et de longs runs pour gagner quelques mètres : le Standard de Sa Pinto applique des recettes ovales pour faire trembler les filets avec un ballon rond. Décryptage d’un football aux principes aléatoires.
Passion impatiente. Ça sonne comme le titre d’un bouquin publié par Gallimard et nommé au prix Goncourt. L’histoire se passerait évidemment à Sclessin. Ce serait celle d’une vie plongée dans un chaudron en ébullition, trop brûlante pour s’éterniser. Le livre serait sans doute un recueil de nouvelles. En tout cas, il devrait se lire vite. Parce que le Standard ne prend jamais son temps.
Devenu célèbre pour son ADN instable, le club vit au jour le jour, dans une réalité où chaque match ressemble plus à une nouvelle histoire qu’à un nouveau chapitre. Une équipe de coups, et donc de Coupe, incapable depuis quatre ans maintenant de jouer un rôle crédible sur la longueur d’un championnat. C’est dans cette réalité qu’a débarqué Ricardo Sa Pinto, personnage rocambolesque qu’on imagine plus facilement sur les écrans d’Hollywood que dans les pages de la Pléiade. Le Standard choisit de lutter contre le feu avec un pompier qui semble se promener en permanence avec un jerrican d’essence.
« Le Standard ne fait plus peur » – Paul-José Mpoku
Sur le terrain, le Portugais esquisse les premiers traits de son Standard, perceptibles à la sortie d’un mercato confus qui voit Ishak Belfodil et Matthieu Dossevi quitter la Principauté. Sa Pinto doit reconstruire sans l’Algérien, ses 14 buts et 6 passes décisives la saison dernière, et est finalement privé d’un ailier togolais intermittent depuis de longs mois, mais tout de même meilleur passeur des Rouches lors des deux dernières saisons.
Privé de deux armes fatales
Au-delà des chiffres, les deux hommes étaient précieux dans le jeu. Au milieu d’un football loin d’être scénarisé, où le ballon était promené sans jamais avoir de destination, Belfodil comme Dossevi étaient capables de permettre à la possession de franchir la ligne médiane proprement. La scène était aussi simple que récurrente : un décrochage dans l’axe pour l’un, contre la ligne de touche pour l’autre, et puis une remontée balle au pied, qui permettait au bloc liégeois de grappiller des mètres sur la route qui mène au rectangle adverse.
Privé de ces deux armes, Sa Pinto pose les prémices de son jeu offensif entre les pieds de Paul-José Mpoku, élément le plus talentueux de la bande, mais trop éloigné de sa meilleure forme physique pour renouveler les exploits de la saison 2013-2014, cette période où le Standard ne faisait plus rire personne d’autre que ses supporters.
Surtout, l’enfant chéri de Sclessin bénéficiait à l’époque de la menace Imoh Ezekiel. La pointe de vitesse effrayante du Nigérian faisait reculer les défenses, et le 4-4-2 de Guy Luzon permettait aux ailiers (Mpoku et Geoffrey Mujangi Bia) de s’inviter entre les lignes, à l’intérieur du jeu, pour se rapprocher du but et entrer dans cette zone où leurs talents, conjugués à ceux d’Ezekiel et de Michy Batshuayi, permettaient de rêver d’un but à chaque instant.
Quatre ans plus tard, c’est donc surtout dans les jambes hyperactives de Junior Edmilson que naissent les premières satisfactions du nouveau Standard. Conjugué au talent statique de Mpoku, le Belgo-Brésilien fait chavirer les tribunes avec la classique victoire contre Genk, première victime du début de saison liégeois. Un 4-0 et un 0-4 plus tard, quand Bruges et Zulte Waregem sont passés par là, Sa Pinto doit déjà déchanter.
Un arc sans flèches
Les critiques pointent, en vrac, l’absence d’imagination du duo Bokadi – Agbo, le manque de rythme ou d’envie des éléments offensifs, et la disparition complète de cet Alexander Scholz que tout le monde s’arrachait pourtant deux ans plus tôt. Devant un parterre de journalistes surtout rassemblé pour écouter le coach des Rouches fulminer, Francky Dury explique posément la recette d’un succès plantureux. Son plan était de garder Mpoku, joueur le plus dangereux de l’arsenal offensif liégeois, le plus loin possible du rectangle.
Zulte Waregem joue donc haut, très haut. Un luxe qui aurait été impossible du temps d’Ezekiel, voire lors des années précédentes, quand Milan Jovanovic puis Cyriac semaient la terreur face aux défenses trop audacieuses. Plus récemment, Anthony Knockaert ou Matthieu Dosseviauraient également puni cette approche orgueilleuse. Le Sclessin d’aujourd’hui est un arc sans flèches.
C’est certainement ce paramètre qui fait qu’il existe deux Standard : un avec Edmilson, et un autre sans lui. Qui d’autre que l’ancien protégé de Yannick Ferrera peut recevoir un ballon à hauteur de la ligne médiane et le transformer en occasion de but ? Personne. Pourtant, Sa Pinto a espéré trouver une réponse dans son noyau. Contre le Essevee, déjà, il avait composé sans Bokadi, remplacé par Razvan Marin.
Le Roumain allie deux atouts qui charment inévitablement Sclessin : la vista, et un jeu long de qualité. Des armes qui avaient déjà permis à Adrien Trebel ou Julien de Sart d’être adoubés par la majorité des tribunes, et qui devraient surtout interdire à la défense adverse d’envisager une domination territoriale. Le problème, plus encore que le manque de vitesse que peut compenser un Dieumerci Ndongala sur l’un des flancs (sans être décisif, ce qui le pénalise dans la hiérarchie offensive), c’est le rythme de jeu du Roumain.
« Il existe deux Standard : un avec Edmilson, et un autre sans lui. »
Marin est arrivé d’un championnat où tout va beaucoup moins vite qu’en Belgique, et souffre souvent pour éviter le pressing adverse au moment de délivrer ses ballons importants. Il ne pointe d’ailleurs toujours qu’à deux passes décisives en Pro League, toutes deux adressées à un Orlando Sa qui ne brille que rarement sur les situations où il faut aller plus vite que tout le monde.
De deux à un but par match
» Le Standard ne fait plus peur » avançait donc Mpoku à son retour sur ses terres. Elle semble effectivement loin, l’armada offensive de 2014 qui avait bouclé la phase classique du championnat avec 59 buts au compteur, soit une moyenne proche des deux buts par match (1,97). Quatre saisons plus tard, les Rouches voguent péniblement au rythme d’un but par rencontre.
Un problème offensif n’est pas toujours un problème d’attaquant. Sur les pelouses belges, Orlando Sa est une terreur des rectangles. Le Portugais se déplace mieux que personne dans les seize derniers mètres, et a déjà marqué 25 buts toutes compétitions confondues depuis qu’il a débarqué à Sclessin. Huit fois de la tête, toujours dans le rectangle.
Son registre favori est simple et chirurgical : l’attaquant du Standard a besoin de centres. La saison dernière, ses deux passeurs favoris étaient Edmilson et Dossevi. Sa a aussi été servi par les latéraux Darwin Andrade et Régi Goreux, tout comme par les ailiers intérimaires qu’étaient Ndongala et Jonathan Legear. Cette année, Agbo et Marin sont les seuls à l’avoir servi victorieusement plus d’une fois.
Comme Mpoku, Orlando Sa est donc beaucoup moins dangereux quand il est posté loin de la surface. Une raison de plus pour les adversaires du Standard d’éloigner le bloc rouche de ses filets. Et du même coup, un argument qui devrait inciter les Liégeois à s’installer de l’autre côté de la ligne médiane. La position semblait intenable en début de saison, vu le manque de vitesse de Scholz, mais est désormais viable grâce aux jambes interminables et au jeu défensif impressionnant du colosse Christian Luyindama.
Le Congolais a stabilisé la défense, Uche Agbo en a fait de même avec le milieu de terrain, où son volume lui permet de récupérer de nombreux ballons, mais le reste ne suit pas. Parce qu’une fois en possession, le Standard persiste à vouloir aller vite. Et comme il ne peut pas le faire avec les jambes, il le fait avec la balle.
Des difficultés à poser le jeu
Les Rouches jouent à un drôle de sport. Comme un match de rugby où les passes en retrait seraient interdites. Leurs actions commencent entre les pieds de Guillermo Ochoa, et enchaînent rapidement les longs coups de botte, comme si la ligne médiane devait être franchie coûte que coûte, en un temps limité.
Généralement, le gardien mexicain joue long, et cherche le front d’Orlando Sa, voire celui de Renaud Emond si le Standard opte pour un 4-4-2. Et quand Ochoa décide de relancer court, il se tourne naturellement vers Luyindama, ignorant ainsi Konstantinos Laifis, dont le pied gauche est pourtant capable de trouver des angles intéressants entre les lignes.
Le géant congolais, lui, se contente de répéter une action popularisée sur nos terres par Sébastien Dewaest voici quelques saisons : coup d’oeil, progression de quelques mètres balle au pied, et long coup de botte diagonal vers l’ailier gauche, rarement précis mais toujours puissant. Dans le meilleur des cas, la balle arrive chez un élément offensif. Au pire, elle est repoussée par le défenseur et permet à l’équipe de chasser le deuxième ballon tout en progressant de quelques mètres.
Le Standard ne pose pas le jeu dans sa moitié de terrain. Agbo et Marin n’interviennent d’ailleurs que dans un second temps, laissant le jeu au pied aux autres pour se jeter à la retombée du ballon. C’est alors que les Liégeois tentent de progresser vers le rectangle, sans spécialement accorder une importance particulière à la création d’une position de centre favorable, qui est pourtant la meilleure façon de faire marquer Orlando Sa.
Rendre le Standard menaçant
Mais pour faire un bon centre, il faut se découvrir. L’idée n’est pas spécialement contraire aux principes de Sa Pinto, mais elle semble trop audacieuse par rapport à la façon dont le Portugais a agi lors des premiers mois de la saison pour soigner les maux de son équipe. La clean-sheet semblait alors être la priorité, exacerbée par cette consigne folle qui interdisait à Agbo et Bokadi de s’aventurer plus loin que le rond central.
Difficile, dès lors, pour les latéraux d’offrir une solution supplémentaire sur les côtés lors de la phase offensive. Pour la venue des Buffalos à Sclessin, Collins Fai et Sébastien Pocognoli semblaient tellement obnubilés par les qualités offensives de Moses Simon et de Samuel Kalu qu’ils en avaient oublié que les deux Nigérians ne sont pas toujours irréprochables quand il s’agit de défendre.
Mpoku et Ndongala étaient donc condamnés à l’exploit : se libérer seuls du marquage, s’ouvrir une fenêtre de centre, et déposer un bon ballon au milieu d’une défense pas assez baladée pour être désorganisée. Les centres n’arrivent presque jamais et pourtant, Orlando Sa a déjà marqué six fois. Le Portugais donne une impression de facilité frustrante, car on l’imagine facilement avoir déjà dépassé la barre des dix buts s’il portait le maillot de Zulte Waregem ou de Waasland Beveren.
Le défi principal de l’évolution des Rouches est là. Sa Pinto doit parvenir à rendre son Standard menaçant, et la voie la plus facile se trouve au bout des pieds et du front de son compatriote d’attaquant. Parce qu’il y a un chiffre qui ne ment pas : lors de leurs cinq participations aux play-offs 1, les Liégeois ont marqué en moyenne 50,8 buts pendant la phase classique. Un Standard qui ne fait pas peur est un Standard de play-offs 2.