Il a beau s’être affilié à Seraing, avoir débuté chez les pros à Genk, été sacré champion avec Alkmaar, s’être enfui à Hanovre ou n’avoir goûté que trop peu à la Premier League, Sébastien Pocognoli n’a jamais su vraiment quitter sa maison. Retour sur une trajectoire tortueuse.
C’est assurément l’un de ses derniers faits marquants sur nos pelouses. Le 12 août 2012, le Standard humilie Charleroi sur ses terres (2-6). Pour enfoncer le clou, Sébastien Pocognoli s’empare du drapeau des Ultras Inferno et le plante au coeur du rond central. L’image fait sensation. Le geste est jugé provocateur et chatouille les gardiens de l’ordre moral. Poco écope d’une amende de 650 euros mais grimpe encore un peu plus dans le coeur de la famille des Rouches qui voit pourtant, quelques mois plus tard, l’enfant de la maison fuguer une deuxième fois.
Lors du mercato hivernal, l’international signe à Hanovre et met enfin les pieds, à 25 ans, dans un grand championnat européen après avoir été, en 2009, sacré champion aux Pays-Bas avec l’AZ Alkmaar. Mais la suite ne connaîtra pas la courbe espérée. Quelques hauts en Allemagne mais aussi trop de bas. Un transfert à West Bromwich à l’été 2014, la découverte de la Premier League, un rêve qui se réalise, des débuts réussis, avant d’être stoppé net par Tony Pulis débarqué à la tête des Baggies.
« Il aime aligner des défenseurs centraux sur les flancs. De grands gaillards costauds, qui pensent avant tout à défendre. Lors de notre premier entretien, il m’a littéralement dit : « Tu es trop offensif pour mon schéma tactique. » Outre-Manche, l’arrière latéral disparaît quasiment des radars. Un prêt à Brighton l’été 2016, le remet en selle. « Je devais remettre ma carrière sur les rails ET j’ai prouvé ces derniers mois que je pouvais à nouveau atteindre le niveau qui était le mien. »
Aux côtés d’un scintillant Anthony Knockaert (ex-Standard), Sébastien Pocognoli participe à la promotion du club en Premier League. L’aventure en terre Albion se termine par une parade dans les rues de Brighton devant 100.000 fans surexcités. Mais cette bio express laisse un goût de trop peu.
13 petites sélections
Aujourd’hui, Sébastien Pocognoli compte 13 sélections en équipe nationale. Une misère ou presque pour celui dont on annonçait l’avenir radieux après avoir débuté à 16 ans en D1 et s’être imposé lors de la saison 2005-2006 sur le côté gauche de la défense de Genk à seulement 19 ans. Un boulevard l’attendait chez les Diables car la pénurie d’arrières latéraux ne date pas d’hier.
En guise de clin d’oeil à ses racines, Poco effectue ses débuts en équipe nationale le 30 mai 2008 à Florence en Italie. Mais les contrecoups sont trop nombreux derrière. Depuis le 10 octobre 2014, Pocognoli n’a plus voix au chapitre, ou presque. Quasiment trois ans jour pour jour après sa dernière sélection, et contre toute attente, Roberto Martinez sort le Liégeois de son chapeau et le sélectionne, suite au forfait de Jordan Lukaku, pour accompagner les Diables à Gibraltar. Mais à un an de la prochaine Coupe du Monde, l’horizon russe semble bien loin.
Et pourtant « c’était un tout grand espoir », confirme Thomas Chatelle, l’un de ses rares vrais amis dans le foot, qu’il a connu à Genk : « C’est vrai qu’il y avait la place pour qu’il s’impose comme arrière gauche chez les Diables. Ça n’a jamais été vraiment le cas. Pourquoi ? Peut-être que le choix de la Bundesliga fut une erreur, je n’ai pas vraiment de réponse. Il aurait fallu qu’il s’impose sur la durée dans un grand championnat pour être un indéboulonnable »
À bientôt 30 ans (il les fêtera le 1er août), Poco a déjà tiré un premier bilan d’une carrière trop mouvementée aux antipodes du personnage posé de la vie de tous les jours. « Je regrette une chose : ne pas avoir pu conférer de structure à ma carrière. J’aurais aimé rester cinq ans dans un club, sous les ordres du même entraîneur. Cette carence m’a coûté pas mal de sélections. »
La première fugue
Jordan Remacle, aujourd’hui à Charleroi, connaît Pocognoli depuis leurs 13 ans.
« J’allais souvent dormir chez ses parents. Chez les jeunes du Standard, on faisait partie d’une très forte génération avec les Jonathan Legear, Kevin Mirallas, Réginal Goreux, Logan Bailly. On mettait des claques à tout le monde à cette époque. Poco, lui, c’était le sage de l’équipe. Alors que moi, j’étais le petit fougueux. Si j’ai connu une tout autre carrière que lui, c’est dû notamment à ce caractère alors que lui a toujours été beaucoup plus réfléchi. D’ailleurs, quand on s’est retrouvé à Sainte-Véronique (école secondaire de Liège, ndlr), il est un des rares à avoir été au bout. Lui étudiait, ce qui n’était pas trop mon cas. »
En 2002, Poco, alors âgé de 15 ans, quitte Sclessin pour Genk. Un an plus tard, c’est au tour de Jordan Remacle d’effectuer le même chemin. « À l’époque, il était quasiment impossible d’arriver en équipe première au Standard. Genk possédait une école de jeune réputée et ça n’était pas trop loin de la maison non plus. »
« Si j’étais resté au Standard, je n’aurais pas pu continuer le foot-études car, à cette époque, il n’était pas encore très au point », explique Pocognoli. « Je l’avais testé un an et cela s’était très mal passé, tant sur le plan footballistique que sur le plan scolaire. Et puis, c’était difficile de percer à cette époque-là. À Genk, il y avait une bonne culture de jeunes et on m’avait promis de me donner ma chance »
C’est l’époque où les plus belles pépites des Rouches fuient l’Académie. Pour Pocognoli, le choix s’avère rapidement gagnant. « Je l’ai connu dès son arrivée à Genk dans le noyau pro », se rappelle Thomas Chatelle. « J’étais alors capitaine de l’équipe, lui débutait chez les pros. On s’est rapidement entendu, j’ai pu créer des liens très forts avec lui.
Avec Poqui (la variante bruxelloise de Poco apparemment, ndlr), on pouvait avoir des discussions autres que le foot. C’est quelqu’un de humble, de profond, il n’est pas superficiel, un personnage plutôt atypique dans le monde du foot. Et, il ne s’est jamais pris pour un autre. »
Loin des codes
Très éloigné du footeux football addict, à l’image d’un Romelu Lukaku, difficile de le traîner devant un match à la télé. Le Liégeois préfère tourner le bouton dès le boulot terminé. Sa simplicité, sa distanciation par rapport aux codes du milieu, se prolongent jusque dans les sapes : un look qui fait davantage penser à une couverture GQ, sobre et élégante, qu’aux vulgaires modèles actuels, Foot-Chicha et Philippe Plein.
« On voit qu’il aime bien s’habiller », poursuit Geoffrey Mujangi-Bia qui l’a connu au Standard entre 2011 et 2013. Mais ce qui lui vient en premier, c’est sa rigueur : « À l’entraînement, c’est un exemple, il se donne toujours à fond. Tout est préparé, il passait souvent chez les kinés avant une séance. C’est quelqu’un de consciencieux, un vrai pro. Il va montrer l’exemple aux plus jeunes. »
Poco fera figure d’ancien dans le Standard version Ricardo Sa Pinto. Il l’était déjà quelque peu lors de son passage entre 2010 et 2013.
« Quand la nouvelle génération a débarqué, celle que j’appelle la génération foot business, celle de 92 et d’après, il a fallu un petit temps pour que les plus anciens, dont Pocognoli, les acceptent car il y avait certaines attitudes qui ne passaient pas », raconte Mujangi-Bia.
« Pocognoli n’appréciait pas quand les jeunes du noyau se mettaient à faire des petits ponts à l’entraînement », poursuit Paul-José Mpoku qui est arrivé dans le noyau pro en 2011. « On avait encore un côté joueur. Lui, il jouait les durs, et sortait des gros tacles. Il se donnait toujours à fond. Tu sens qu’il aime vraiment le Standard. Ça transpire à sa manière de jouer, à sa manière d’en parler. »
Rital et je le reste
Techniquement très propre pour un défenseur, l’homme est pourtant davantage reconnu pour ses courses, ses tacles. « Lorsque je jouais à Seraing, tout jeune, les terrains en cendrée ne me rebutaient pas. Il m’arrivait de rentrer au vestiaire la cuisse ensanglantée, à force de me jeter sur le ballon. » Cette hargne de celui qui ne lâche rien colle évidemment avec ce fameux esprit Standard, trop souvent galvaudé et dont on se demande bien s’il existe encore.
« Le retour de la mentalité Standard, c’est ce que les supporters attendent en priorité, et l’arrivée de Poco est une très bonne chose », assure son pote, Lolo Ciman en pleine compétition MLS. « Quand j’étais venu quelques jours m’entraîner à l’Académie durant la trêve en MLS, j’avais vu des choses bizarres. Mais j’ai le sentiment qu’avec quelqu’un comme Sa Pinto, ça ne peut qu’aller mieux. Et en étant bien entourés avec, Poco, Régi (Goreux, ndlr) et Jean-François (Gillet, ndlr), on devrait retrouver un vrai état d’esprit.
Poco, il ne ment ni sur un terrain ni en dehors. S’il a quelque chose à te dire, il va te le dire en face. C’est quelqu’un d’entier. Et puis, il déteste perdre, il va remettre de l’ordre dans ce vestiaire. C’est aussi un mauvais caractère. Il y a des matins, où faut pas trop l’emmerder. Même si Régi et moi, on ne le loupait pas. Ça reste un vrai rital avec un caractère assez chaud (il rit). »
Retour annoncé
L’annonce du retour de Sébastien Pocognoli n’a surpris personne. Depuis plusieurs mois, le Standard l’avait dans son viseur. Il faisait partie d’une short-list de joueurs qui devaient redonner de la vie et du coeur à ce club. L’important contrat signé à son arrivée Premier League a quelque peu compliqué les choses. C’est son ex-team manager, Jean-Christophe Bury et Rochdi Benrahib, le cousin de Mehdi Carcela, qui ont joué les agents lors de cette transaction.
Le contrat a finalement été signé et renvoyé par fax de son lieu de villégiature en Grèce. « Je n’en ai jamais parlé avec lui, mais je m’attendais à son retour. On sentait bien, à travers ses interviews, qu’il avait envie de revenir », souligne Thomas Chatelle. « Mais c’est un fameux challenge ce qui l’attend. Car il faut tout reconstruire et arriver à reconquérir le coeur des supporters. Et ça passera par arriver à donner une âme à ce Standard. »
À bientôt 30 ans, Pocognoli sait à quoi s’attendre. Lors d’une interview qu’il nous avait accordée en mai dernier, il soulignait les nombreuses complications du Standard actuel : « Bruno Venanzi a hérité d’un travail extrêmement difficile. Il avait un nombre incroyable de joueurs sous contrat et un trou dans la caisse. Il fallait élaguer le noyau, tout remettre sur pied. Je pense que le Standard aura besoin de cinq bonnes années pour revenir au niveau. »
Et pourtant, la patience des supporters semble avoir assez duré du côté de Sclessin.
Liège à vie
Sébastien Pocognoli est un vrai Lidjwès et fier de l’être. Ses grands-parents étaient originaires de la région d’Ancône, sur la côte adriatique (où Poco a acheté une maison). Son père, Serge, s’est installé à Liège dans les années 70 et a travaillé de nombreuses années comme ouvrier à Cockerill-Sambre. « Il m’a appris la valeur d’un euro. »
Thomas Chatelle : « Il était fier de ce que son père a fait pour sa famille, c’est très marqué chez lui. » Du jardin de la maison familiale, on pouvait observer les hauts fourneaux et, de la salle de bains des parents, on peut rêver de Sclessin. Et pourtant, à cinq ans, c’est à Seraing qu’il signe sa première carte d’affiliation avant de rejoindre, à neuf ans, le Standard suite à la fusion (ou plutôt l’absorption) des Métallos.
« En tant que jeune, j’avais un abonnement au Standard. Pour tous les petits, aller au stade tous les quinze jours constituait LE rendez-vous. » Accompagné de son ami de toujours, Réginal Goreux, Poco tombe rapidement amoureux des couleurs « rouge et blanc ». Aujourd’hui encore, il aime se faire l’ambassadeur de son club et de sa ville. « Tous les Liégeois qui gagnent leur vie à l’étranger continuent à aimer leur ville et le Standard. On ne trouve un tel attachement dans aucun autre club belge. »
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