On nous dit que » le gars ne prend pas que de la vitamine C « , on nous raconte qu’il » subit une pression décidément trop forte « , on nous lâche que » sa direction doit l’aider à gérer ses émotions « , on nous explique qu’il était » déjà comme ça quand il jouait « . Ange ou démon, Ricardo Sa Pinto ?
Un vendredi soir glacial à Beveren. Le banc du Standard est à l’image de l’équipe. Sans voix. Sans âme. Sans inspiration. Sans charisme. Un adjoint, celui qui est officiellement T1 rouche de la soirée sur la feuille de match, Rui Mota, se contente de quitter son siège une fois de temps en temps et de recadrer mollement un joueur ou une ligne. Un autre adjoint, Eric Deflandre, est à peine plus explicite. En deuxième mi-temps, les trois joueurs remplacés ignorent le staff amputé du chef quand ils reviennent vers le banc, pas une poignée de main, pas un regard. Clairement, ce n’est plus du tout la même chose quand Ricardo Sa Pinto est suspendu de zone neutre. Cherchez le guide suprême.
Ricardo Sa Pinto est manifestement un peu dérangé. » – Marcel Javaux
En début de saison, le Portugais nous expliquait ceci : » Point de vue personnalité, je me rapproche de Diego Simeone. Je vis les matches comme lui, je suis émotionnel comme lui. Quand je vois des coaches qui restent immobiles et ne disent rien… ça m’énerve. Tu dois être toujours derrière tes joueurs pour les convaincre qu’ils peuvent y arriver. Et le langage non verbal est aussi très important. Si tu ne montres pas d’émotions à tes hommes, ça ne va pas. Quand je m’agite devant mon banc, je ne fais pas du théâtre, il n’y a pas de calcul. C’est moi ! »
Et donc, la commission des litiges n’a pas capté. Pas compris, pas suivi son raisonnement. Encore du Sa Pinto quand on l’avait longuement rencontré en début de championnat : » J’étais déjà comme ça quand je jouais. » Alors, on contacte un ancien équipier – ça remonte à leur période commune à Liège – pour en avoir le coeur net. Allô Milan Jovanovic ? Il est en Serbie mais parfaitement au courant des événements du clasico en Coupe, du gobelet de pils, de la chute spectaculaire du coach sur l’herbe, de la qualification du Standard, du passage à l’Union Belge, des remous qui ne s’arrêtent pas.
Et, clairement, ça le fait un peu marrer. » Ah, Ricardo… Deux gars dans un seul ! En mise au vert, à la cantine, sur le parking du centre d’entraînement, en ville, rien à redire, c’était un calme, un sympa, un blagueur aussi. » Mais ? … » Par contre, dès qu’il ouvrait la porte d’un vestiaire, dès qu’il se retrouvait sur le terrain, il se transformait complètement. Un vrai nerveux. Il gardait une bonne distance entre les jeunes et lui, et il montrait son autorité à la première occasion. Avec lui et Sergio Conceiçao, on était servis, question patrons et têtes dures. Mais ils ne vivaient pas de la même façon leur expérience au Standard.
Conceiçao était bon sur le terrain, alors pour lui, tout roulait. Sa Pinto, lui, il ne jouait pas beaucoup parce qu’il était souvent blessé. On voyait que ça le gonflait et ça n’améliorait pas son caractère, ça ne diminuait évidemment pas ses sautes d’humeur. Il aurait pu être le meilleur joueur de l’équipe, il en était capable, mais ça n’allait pas. Il savait que ça sentait la fin, il aurait voulu sortir par la grande porte, mais il comprenait que ça ne marcherait pas et ça le désolait. Aujourd’hui, le coach hyper nerveux n’est qu’une continuation du joueur qui ne tenait pas en place. »
» Sa Pinto est un conflictuel «
En télé, la semaine passée, Laszlo Bölöni est allé plus loin que le terme nerveux. Une phrase lâchée par le Roumain risque de rester dans le grand livre d’histoire de La Tribune : » Vous connaissez la différence entre Sa Pinto et le bon dieu ? Le bon dieu ne veut pas être Sa Pinto. » Bölöni estime aussi que Ricardo Sa Pinto est » un bon entraîneur mais un conflictuel. »
On reste sur le thème de La Tribune et on contacte Marcel Javaux. Sniper et éternel défenseur des arbitres. Vous connaissez la différence entre Sa Pinto et Javaux ? Javaux défend les arbitres… Et quand il évoque les dérapages à répétition du Portugais, ses gesticulations, ses attaques verbales, ça devient du lourd.
» La comédie de Sa Pinto à Anderlecht, ça m’a écoeuré. Je n’avais jamais vu ça sur un terrain de foot. Que tout soit clair : les premiers responsables, c’est les couillons qu’on appelle des supporters et qui passent leur temps à lancer des gobelets de bière. Mais ce que Sa Pinto a fait comme cinéma… C’est le truc le plus fort que j’ai vu depuis que je m’intéresse au foot, et ça fait un bail que je suis dedans ! C’est une des soirées les plus sombres de l’histoire du football belge. Après ça, après des images qui sont passées dans l’Europe entière, va expliquer aux gosses qu’il faut être fair-play sur un terrain de foot. Si, demain, un coach se roule par terre pendant un match entre des U12, il ne faudra pas s’étonner. »
Confirmé, ces images ont vite dépassé nos frontières. » La vidéo des incidents à Anderlecht circule au Portugal « , nous dit Hugo Forte, du journal sportif A Bola. » On sait aussi comment ça s’est passé à l’interview avec un reporter télé après le match contre Anvers. Honnêtement, les Portugais ne sont pas trop étonnés. Sa Pinto était bouillant quand il jouait, on a compris entre-temps qu’il était toujours le même en tant qu’entraîneur. Il a bossé dans le championnat portugais, il y a notamment eu une période très chaude au Sporting Lisbonne. Ça avait bien commencé pour lui là-bas, puis ça s’est subitement gâté, le club est entré en éruption… et Sa Pinto aussi. » Un Portugais avait dit à Rodrigo Beenkens, l’été dernier : » Sa Pinto, c’est un roman. Avec lui, le problème n’est pas de savoir s’il va disjoncter, mais quand il va disjoncter. » Tout se tient.
Pourquoi Sa Pinto a l’ADN Standard
Disjoncter… Cible 1 : les arbitres. Cible 2 : les journalistes. En août, il se fâchait face caméra après la défaite contre Zulte Waregem : » Tu parles de grinta, je ne parle pas de grinta. » Son interview par Stéphane Pauwels après le fameux match à Anderlecht est une pièce à archiver. » Tu es calme ? Je peux répondre ? (…) Moi nerveux ? Nerveux de quoi ? J’ai gagné le match et je suis content (…) Je n’accepte pas que tu changes la situation contre moi. » Et puis il y a donc eu l’interview après le nul contre l’Antwerp et le fameux » On a fait ce qu’il fallait, combien de fois il faut que je te le répète ? « .
Cap sur l’Université Libre de Bruxelles pour un avis académique sur le personnage. Un avis très nuancé et pas mal de circonstances atténuantes pour Ricardo Sa Pinto et tous ses confrères. Jean-Michel De Waele est – dans le désordre – professeur à l’ULB, spécialiste en sociologie du sport, passionné de foot, invité ponctuel sur des plateaux télé quand il est question de ballon rond.
» Les entraîneurs de foot sont soumis à une pression de plus en plus forte, ça saute aux yeux « , commence-t-il. » Ils ont des contrats très précaires, ils n’ont généralement pas grand-chose à dire sur les arrivées et les départs, et en plus de tout ça, on leur demande d’être des gourous, des sauveurs, presque des magiciens. Et puis, à partir du moment où le jeu n’est pas excitant, à partir du moment où on s’ennuie en regardant les matches, qu’est-ce qu’on fait pour passer son temps ? On analyse la tactique des entraîneurs, on la dissèque, on la critique. Et on est à l’affût de la moindre petite déclaration qui pourrait faire polémique. Tout ça, ça s’abat sur les coaches, ça complique encore leur boulot. »
Selon ce raisonnement, ces difficultés, couplées à la particularité du Standard, ça risque de faire boum à tout moment. » Le Standard, c’est un club où on ne s’ennuie jamais, il y a toujours des drames, des psychodrames. Et puis, Ricardo Sa Pinto correspond à l’image du Standard, l’image du Calimero. Tout le monde est contre nous, on dérange, etc. Ça fait partie de l’ADN du club. On peut y ajouter qu’il a débarqué là-bas après des années difficiles et des conflits internes, ce qui n’a rien arrangé. »
» Sa Pinto n’a aucune raison de se calmer «
L’analyse du professeur débouche sur un conseil : » La direction doit l’aider, l’encadrer. Elle pourrait lui arranger des séances chez un psy, organiser des rencontres avec un spécialiste des médias. Il n’arrive pas à gérer son trop-plein d’émotions, il faut faire quelque chose. Maintenant, je vois deux éléments qui risquent de ne pas aider Sa Pinto dans le futur, qui vont peut-être l’empêcher de changer son comportement. Il a reçu une sanction ridicule à la fédération, et c’est malheureusement normal dans cette entreprise marquée par un climat poto – poto, où les juges sont partie, où tu ne vas pas emmerder demain un club qui pourrait alors t’emmerder après-demain.
Autre élément : l’absence de réaction de ses employeurs. À aucun moment, ils n’ont condamné son show à Anderlecht. Alors, pourquoi changerait-il ? Il n’a pas l’air de s’amender, c’est peut-être le plus inquiétant, mais ça s’explique puisque ses patrons semblent tout à fait d’accord avec lui. Le fait que la direction ne le condamne pas, ça peut aussi justifier qu’il ait encore pété les plombs quelques jours plus tard, dans son interview après le match contre l’Antwerp. Je n’imagine pas la direction d’Anderlecht faire appel dans la même situation. Cet appel a été contre-productif, pas seulement parce qu’il n’a rien changé au niveau des matches de suspension, mais surtout parce qu’il a abîmé encore un peu plus l’image de Sa Pinto dans le public. »
Faut-il brûler Richard ? » Allez, le garçon est manifestement un peu dérangé « , tranche Marcel Javaux. » Le gars, il ne prend pas que de la vitamine C. On a longtemps eu un Michel Preud’homme qui était extraordinaire dans ses débordements. On a un Peter Maes qui peut être imbuvable. Mais se rouler sur le terrain pour un verre de bière ! Ce soir-là, je me suis demandé pourquoi je m’intéressais encore au foot, je me suis demandé ce que je foutais encore là-dedans. Vraiment ! Et je ne comprends toujours pas que la direction ait pu essayer de défendre l’indéfendable. Quand tu es un grand club, quand ton coach ne prend que trois matches pour un truc ridicule qui a été vu et commenté dans l’Europe entière, tu ne bouges pas. Sa Pinto a fait du cinéma, mais il a été encore plus choquant après, quand il a failli bouffer le nez de l’arbitre. Je me dis qu’il y a encore un travail à faire sur la culture de la maison. »
RSP et les arbitres belges, une relation compliquée…
… et des punchlines à répétition qui n’arrangent pas les choses !
Après Saint-Trond – Standard. » Je ne comprends pas pourquoi l’arbitre a exclu Fai et Sá. Incroyable. Mes joueurs ont besoin de toute leur concentration mais ils constatent des injustices, alors ça devient difficile. C’est casino. »
Avant Standard – Zulte Waregem. » J’espère qu’on aura un bon arbitre. »
Après Standard – Lokeren. » Je trouve que mon exclusion est exagérée. Nous devons nous battre contre beaucoup de choses. Mais le Standard va continuer à avancer et je suis certain que nous allons y arriver, même si nous sommes seuls contre tous. »
Après Standard – Courtrai. » J’aurais tant aimé que l’arbitre reconnaisse son erreur d’avoir exclu Pocognoli. Parce que c’est bon pour le football. »
Après Antwerp – Standard. » À chaque fois, les décisions sont contre nous. Je vais penser que c’est une coïncidence car les arbitres sont de bonnes personnes, mais je constate que nous devons être parfaits pour prendre les trois points. »
Après Charleroi – Gand. » J’ai vu que Monsieur Delferière avait eu le cran de présenter ses excuses après Charleroi – Gand. Chapeau à lui. Mais je constate que personne ne nous a présenté ses excuses pour les erreurs qui nous ont coûté des points. »
Avant Gand – Standard. » J’espère que l’arbitre livrera une bonne prestation et qu’il pourra siffler sans la moindre pression extérieure. Gand n’a pas à se plaindre. Contre Eupen, ils ont eu un penalty qui n’en était pas un. Au Standard, par contre, on ne donne jamais rien (…) J’ai une bonne relation avec les arbitres, même s’il m’arrive de sortir de ma zone technique. »
Après Genk – Standard. » Le Standard doit systématiquement se battre contre tout, et là, ça devient difficile. C’est la même chose chaque semaine. À chaque match, toutes les décisions sont contre nous. Et pour nous, rien. Le Standard mérite d’être respecté. Pour le bien du football belge, il faut trouver des solutions. S’il le faut, je suis disponible pour en parler là où il faut. »
Avant Anderlecht – Standard en Coupe. » Trois fois, le VAR est intervenu dans nos matches, et les trois fois, c’était contre nous. Les arbitres n’ont pas le droit de faire mal au Standard comme ça. »
Après Anderlecht – Standard en Coupe. » Je reconnais que je me suis un peu énervé mais il faut comprendre. C’est moi qui suis atteint par un gobelet et c’est moi que l’arbitre exclut. Il faut se dire que si le projectile avait atteint l’arbitre, on aurait arrêté le match. »
Après Standard – Antwerp. » Beaucoup d’agressivité et ils n’ont pas pris de carte, ils ont cassé Edmilson. »
Commentaires
Commentaires
Paul Spitaels , je vous suis sur le fond. Mais justement dans ce monde d’hypocrites et de politiquement correct, le gros reproche qu’on puisse faire à SP est de donner le bâton pour se faire battre. Après son show, on ne parle plus de la conduite des voyous d’Anderlecht. S’il avait été malin comme le cynique et retord Bölöni, il aurait attiré l’attention d’une autre manière pour faire arrêter le match. Car c’etait le but de son cinéma, attirer l’attention et il a réussi !