e terme « ADN » se lit sur toutes les lèvres à Sclessin. Dans les faits, l’espritStandard est pourtant sous perfusion depuis de longs mois, la ferveur de son enceinte aussi. Reportage à la poursuite de l’Enfer.
La scène peut surprendre. Le contexte et le lieu où elle se déroule influence ses interprétations. Les joueurs quittent le stade sans accroc. « Avant, les sorties auraient été bloquées », assure un membre des Ultras Inferno, bonnet « RSCL » vissé sur la tête. « Il y a deux ans, les joueurs avaient presque dû rouler sur les gens pour pouvoir sortir. Maintenant, ils se barrent tranquillement… »
Seuls Olivier Renard et Renaud Emond se présentent devant une petite trentaine de supporters. Dans son antre de Sclessin, le Standard vient de recevoir une gifle. La main ferme vient de Courtrai et frappe par trois fois sans encaisser en retour. Si la réaction des Rouches n’intervient pas sur le terrain le 4 février dernier, on pouvait s’attendre à la voir venir depuis les tribunes.
Mais ces dernières restent paradoxalement apathiques. Ou presque, puisqu’elles applaudissent notamment l’un des buts et la sortie du Français Idriss Saadi. Ironie pour certains, colère déguisée pour d’autres, le geste caractérise la frustration des supporters liégeois. L’ambiance en bords de Meuse décline à mesure qu’un sentiment se renforce davantage : la résignation.
Plusieurs d’entre eux quittent l’enceinte avant le coup de sifflet final. Quelques-uns se retrouvent cinq jours plus tard à la Caserne Fonck de Liège autour d’une bière, mais surtout d’une pièce de théâtre. Elle met en scène des textes du magazine C4 de l’été 2016, écrits par des fans lambda, des proches du PHK, du Hell Side ou des Ultras Inferno, qui jouent leur propre rôle.
À la fin de la représentation, le débat s’installe. Un homme affublé d’une salopette se lève. « L’aspect business, c’est normal, c’est légal, le capitalisme rentre partout. S’ils peuvent gagner du pognon, ils le font. Mais le Standard doit garder son ADN. » L’abréviation pose question tandis qu’au mur, une diapo équivoque suggère un premier élément de réponse : « Supporter, pas dupe ».
STRATÉGIE VENANZI
L’air est fragile, le teint rouge au et les trémolos se distinguent par à-coups. Bruno Venanzi se présente devant la presse le 25 juin 2015 en tant que nouveau patron du matricule 16. Son intervention accentue le côté authentique de son profil, celui d’un enfant du pays qui a le club dans les veines. Il parle même d’un projet de «socios» aujourd’hui au point mort. Un an et demi plus tard, ces traits tirés soigneusement lui permettent de bénéficier de temps, donc d’indulgence. Une situation similaire aurait presque été inimaginable sous l’ère Duchâtelet. « Les supporters sont peut-être moins idiots qu’on ne le prétend. Ils se rendent compte aussi qu’il y a des choses compliquées, qu’on ne s’improvise pas président. Il y a des circonstances atténuantes », martèle Christian Hannon, passé des gradins du Hell-Side au poste de responsable de la sécurité à Sclessin.
« La gestion du Standard n’est pas uniquement l’apanage de Venanzi », poursuit Pavé , membre historique du crew hip-hop Starflam, ancien des Ultras Inferno et encore très actif dans le domaine du supporterisme. « Il y a aussi Henrotay et Van Buyten. Il n’est pas tout seul et on n’est plus que dans des saisons qui ressemblent à un grand mercato. On ne sait plus qui est là, qui n’est pas là. Et on se demande vers où on va. » Les supporters rouches regrettent un manque de « projet » distinct. Si la plupart s’estimaient optimistes quant à l’arrivée de Venanzi en 2015, une minorité le voyait déjà comme un « leurre », étiqueté par son rôle de vice-président de Roland Duchâtelet. Alors l’ex-actionnaire de Lampiris pense une stratégie efficace concernant son principal fonds de clientèle. Il y a un peu moins d’un an, il nomme un ex-président des Ultras Inferno dans une fonction fourre-tout de « Community Manager ». Il le fait même rentrer dans son enceinte bien qu’il soit encore interdit de stade. « Il est aussi notre ADN directeur. Je sais que, de l’extérieur, ça peut sembler bizarre. Mais j’assume », nous disait-il en avril 2016, avec une pointe d’humour. « Et aujourd’hui, il n’est plus IDS, interdit de stade. Il est ADS, autorisé de stade.
» La force de l’acte dépasse le simple symbole. Par ce biais, Venanzi s’assure une surveillance par intermédiaire du noyau dur de contestation du club ainsi qu’une possible paix des braves en cas de conflit. « À partir du moment où Venanzi contrôle une partie du groupe, c’est forcément difficile de se rebeller », déplore l’un des pères du Hell Side, membre de ce qui est devenu la « Vieille Garde », mais aussi des UI96. « Il est clair qu’il avait préparé son coup à l’avance. Le fait de l’avoir embauché lui, c’est très malin. » Son « directeur ADN » conserve une influence sur plusieurs ultras charismatiques et construit des ponts entre les têtes pensantes de Sclessin. L’homme rédige entre autres la colonne vertébrale du communiqué réagissant à la polémique du tifo anti-Defour.
À la suite de la victoire en Coupe de Belgique l’année passée, il sabre le champagne dans la demeure de Venanzi, en compagnie d’autres Ultras Inferno, dont leur actuel président. « Bruno a de bonnes relations avec les supporters, en tant que président du Standard de Liège. C’est plutôt une bonne chose », se félicite Olivier Smeets, son press officer. Le membre de la « Vieille Garde » rit jaune et fait des grands gestes : « Finalement, je pense qu’il nous prend pour des jeunes gauchistes difficilement canalisables. Alors il est gentil. Il fera tout ce qu’on veut plus ou moins, en nous disant qu’il y a un échange à avoir. » Dans un milieu ultra très fermé, rares sont les concessions. Venanzi a le mérite d’avoir établi un rapport de confiance direct avec son contre-pouvoir, plus vraiment incarné par une Famille des Rouches qui ne fédère plus autant les abonnés depuis le départ de Louis Smal en 2011.
LE TIFO DES 20 ANS
La rébellion, auparavant courante en bords de Meuse, semble ainsi pour le moment attachée à son lit. La spirale négative de sept rencontres sans victoire vient de stopper sa course à Beveren (0-1), mais le train des illusions file avec les PO1, sans des Standardmen qui vont probablement rester à quai. Et mis à part lors de quelques déplacements, l’ambiance décline sensiblement. « Quand tu ne te reconnais plus, ni dans les joueurs, ni dans la gestion du club, tu ne peux pas toujours être un supporter acharné. Si c’était le cas, ça serait stupide et tu n’aurais aucun sens critique », assure l’un des fondateurs du Hell Side, doudoune rouge de rigueur sur le dos.
Le malaise paraît plus profond que les résultats sportifs. Ce qui constitue une vraie catastrophe à Liège ne s’accompagne pas non plus d’une réaction palpable. La dernière apparition digne de ce nom des supporters à l’entraînement remonte à début décembre avant le déplacement à Charleroi. L’affaire qui s’ensuit ne connaît toujours pas de dénouement et concentre des forces de tous les côtés. Si les groupes ultras affirment que les jets de briquets ne provenaient pas de leurs membres, ils se rappellent aussi au « bon » souvenir de leur incursion dans le bureau de Roland Duchâtelet. En juin 2013, une poignée d’entre eux profitent de l’arrivée du facteur pour improviser une réunion musclée avec le président de l’époque. À la fin du même mois, 5.000 supporters manifestent à Sclessin. Un an plus tard, la T1 est investie pour mettre la pression sur Duchâtelet. Des faits pas forcément reluisants mais qui démontrent une posture de « gardiens du temple », assoupis actuellement.
Les Ultras Inferno restent pieds et poings liés par la préparation du tifo censé célébrer leur vingtième anniversaire. « Les ultras ont toujours voulu être à part et au-dessus du lot. Il y a aussi un retour de bâton », rappelle Jean, abonné de longue date en T3. « Mais les tifos nous manquent. Un tifo en début de match, ça change tout. Les gens sont chauds et les joueurs ont envie de se bouger le cul. Aujourd’hui, ça fait trop longtemps qu’on n’a pas joué les premiers rôles. » Fondés en 1996, les Ultras Inferno veulent logiquement marquer le coup, mais ont peut-être vu trop grand.
L’objectif est de couvrir l’ensemble de la Tribune 3 par un tifo, soit plus de 1.000 mètres carrés. Il y a dix ans, pas aidés par les conditions météos, ils avaient dû s’y reprendre à deux fois pour fêter leur première décennie. Une telle opération se réfléchit au détail près et des tests ont été effectués fin de semaine dernière. Pour que tout soit en ordre, le groupe fait appel à des alpinistes, mais doit aussi compter sur l’homologation du dossier par les pompiers et un bureau d’ingénieurs liégeois, sous le l’œil attentif de la sécurité du Standard. Des travaux herculéens qui, s’ils devraient voir le jour rapidement, concentrent la majorité des forces Ultras depuis des mois.
« IL N’Y A PLUS D’IDENTIFICATION »
Lors du débat organisé pour le Festival de Liège, dans un petit entrepôt qui ressemble étrangement au premier local des Ultras Inferno, le leader de la « Vieille Garde » prévient ceux qui tendent l’oreille : « Une fois que le tifo sera sorti, ça va finir par péter ». La traduction se veut limpide. Les ultras seront libres de tout mouvement incessamment sous peu. Seulement, la pauvreté sportive de leur entité favorite devrait repousser les manifestations de mécontentements au début de saison prochaine. Les meneurs s’interrogent d’autant plus sur le renouvellement de leurs organisations. « C’est peut-être de notre faute, mais on n’arrive pas à inculquer le truc correctement aux jeunes », souffle un Ultras Inferno, qui porte une veste des partenaires de l’Hapoël Tel-Aviv. « On est devenu un club ‘anti’. On était ‘anti-Duchâtelet’ puis on est redescendu du top. On n’est plus devenu qu’un club ‘anti-Anderlecht’, voire ‘anti-Charleroi’.
C’est se rabaisser à leur niveau. » Et l’ADN d’un club se transmet d’abord par la réalité du terrain. Sur le pré, le Standard gratte encore pour trouver ses racines. Sur les fameux 111 transferts de l’ère Venanzi, 72 sont sortants. Parmi eux, Landry Dimata constitue le dernier exemple en date du manque de confiance donné aux pépites de l’Académie RLD. Ibrahima Cissé et Edmilson Junior en proviennent, mais ont dû s’exiler pour mieux revenir avant de passer tout près d’un transfuge cet hiver. Aujourd’hui, seul Corentin Fiore semble trouver grâce de manière relative aux yeux des Rouches, partagés sur le cas Réginal Goreux, et qui ne s’identifient plus à leur onze de base. « Avant, on avait des gars comme Michaël Goossens qui venaient de la tribune même si ce n’était pas clairement revendiqué. Didier Ernst aussi. Enfin, des gens qui avaient de la gueule, qui puaient le Standard », poursuit le membre des Ultras Inferno.
« Le dernier en date, c’est qui ? Sérgio Conceição sûrement. J’ai aussi envie de dire Goreux. Il fait tout pour le club. Sans lui, il y aurait encore moins d’ambiance. » Pire, le père du Hell Side trouve la source du problème chez l’ennemi héréditaire : « Il n’y a plus d’identification. Un truc de fou : cette ambiance de merde contre Anderlecht (en octobre, 0-1, ndlr). Il y a eu à peine 5 minutes de chants à peu près corrects. En face, il n’y en a plus un qu’on connaît. Pas un seul joueur sur lequel tu peux extérioriser ta haine. Le Youri Tielemans, avec ces petites joues roses… Qui peut haïr un petit gamin comme ça ? Si tu ne peux pas t’identifier, tu as du mal à encourager. » Pour eux, le « foot business » aurait favorisé un conglomérat de « mercenaires » au Standard de Liège. Le constat, qui paraît discutable dans le sens où l’ambiance de plusieurs stades européens ne périclite pas autant, pose malgré tout sur la table la question de la gestion des dirigeants du RSCL. Les supporters ne sont effectivement pas « dupes ».
Début décembre, le Standard enregistre par ailleurs un chiffre record inégalé en Belgique de 109 interdits de stade. Des « IDS » qui s’accompagnent d’amendes lourdes et décourageantes. Dans le même temps, les habitués lambda se déplacent de moins en moins rue Ernest Solvay. « J’ai l’impression que beaucoup de personnes sont passés de la parole à l’acte. À un moment donné, ils en ont eu marre. Quand on a plus de 20.000 abonnés et qu’il y en a que 15 ou 16.000 dans le stade, c’est significatif », conclut Hannon. « Ces gens-là, on les a peut-être perdus définitivement. C’est peut-être une bonne chose pour eux. Leur week-end, c’était le Standard. Un jour, ils ont décidé de ne pas venir, ils ont peut-être été promener bobonne dans les Ardennes et ils ont découvert qu’il n’y avait pas que le Standard dans la vie. » Chacun ses priorités.
Commentaires
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Franchement, beaucoup de porte nawak dans cet article….