Un témoin privilégié pour commenter la triste saison du foot liégeois, dont la misère d’un Standard qu’il connaît trop bien. Mais aussi le nouveau contrat d’Olivier Deschacht et le parcours des Diables qu’il avait emmenés en maxi-trip aux Jeux de Pékin.
Dernière apparition publique, toute récente : Jean-François de Sart était consultant lors du match (raté) pour la montée du FC Liège contre l’Eendracht Alost. Pour des télés locales. Son poste de travail avait été bricolé sur une estrade soutenue par des fûts de bière. Retour à son club, retour aussi au foot d’en bas.
Il a pris du recul, beaucoup de recul, depuis que Roland Duchâtelet l’a viré de son siège de directeur sportif du Standard durant l’été 2014. Mais le foot professionnel reste le fil rouge de la famille. Ses fils sont en pleine bourre. Julien a un peu ramé cette saison mais il est quand même pro en Angleterre. Et Alexis a eu un temps de jeu XXL en PO2 avec le Saint-Trond… de Duchâtelet.
Des années dans la grande équipe du FC Liège, un passage à Anderlecht, 12 sélections et une présence à la Coupe du Monde 1990 avec les Diables, des exploits à la tête des Espoirs avec les fameux Jeux olympiques en 2008, un bon bail dans l’organigramme du Standard (adjoint, directeur de l’Académie, directeur sportif) : l’avis du padre est toujours un avis qui compte.
On commence par parler du FC Liège pour évoquer le foot liégeois : une fameuse gueule de bois !
JEAN-FRANÇOIS DE SART : C’est dommage pour tout le football belge, pas seulement pour Liège et les Liégeois. Quand tu vois qu’il y a 4.000 spectateurs alors que c’est la quatrième division, qu’il y a 2.000 personnes en plus qui n’ont pas trouvé de ticket, que c’est retransmis en direct, ça te situe le rayonnement que ce club continue à dégager. Compare avec un Eupen – Courtrai en play-offs 2 : ça fait mille spectateurs à tout casser. On a besoin de clubs historiques dans les meilleures divisions. L’Antwerp et le Beerschot qui montent, c’est très bien. L’Union qui revient bien, c’est parfait aussi. Si Liège arrive en D1B, tu auras peut-être 5.000 personnes à chaque match. Ou même plus, si les résultats suivent. Un club comme Tubize a beau développer un beau football, il n’arrivera jamais à ça. Un club qui n’a aucun potentiel public, à terme, il ne peut pas vivre.
« Tous ceux qui parlent du Standard sont négatifs »
Tu as gardé quel genre de lien avec Liège ? Un lien plus fort qu’avec le Standard ?
DE SART : Liège, ça reste mon club formateur, et c’est là que j’ai fait une bonne partie de ma carrière. Tu ne peux pas oublier ça. Mais je me sens aussi très lié au Standard. Mes fils ont commencé là-bas quand ils avaient douze ou treize ans, j’y étais presque tous les jours pour aller les conduire et les rechercher aux entraînements, je voyais tous leurs matches. Puis j’y suis encore allé beaucoup quand j’entraînais des équipes nationales d’âge, forcément parce qu’un match au Standard est l’endroit idéal pour juger un joueur. Après ça, je suis entré dans la direction. Finalement, j’y ai passé autant de temps qu’au FC Liège. Je n’ai jamais été anti-Standard, même quand je jouais chez l’ennemi.
On va parler de la saison du Standard…
DE SART : Pff… J’ai le regard du supporter. Et tous ceux qui ont un lien avec le Standard sont super déçus. C’est frappant d’entendre que tous les gens qui parlent maintenant du Standard ont une opinion négative. Par mon métier de directeur de banque dans la région liégeoise, je rencontre pas mal de clients qui sont supporters du Standard. Inévitablement, le sujet du foot finit par arriver sur le bureau ! Et tout le monde est négatif. Le club est occupé à chuter. On se demande toujours s’il a touché le fond, ou s’il va encore continuer à s’enfoncer. Qu’est-ce que tous ces gens ont eu pour être contents depuis quelques années ? La Coupe de Belgique ? OK, on sait très bien que c’était, entre guillemets, un accident de parcours. Ce n’était pas du solide, pas le reflet d’une structure, pas le résultat d’une certaine stabilité. C’était de l’occasionnel, de l’accidentel. On dira : un heureux accident de parcours. Repartir de l’avant, ça passe par une structure claire et nette.
C’est quoi, une bonne structure pour le Standard ? Quand tu y étais, on parlait déjà d’instabilité. Entre-temps, les C4 ont volé. À des postes clés.
DE SART : Je ne suis pas d’accord, le Standard n’était pas instable à l’époque de Roland Duchâtelet. Il y avait une vraie structure sportive. Christophe Dessy est resté longtemps à la tête de l’Académie, il n’y a pas eu de changement de directeur administratif, je suis resté directeur sportif pendant trois ans. Les gens du club et de l’extérieur savaient à qui s’adresser. Depuis que la nouvelle direction est en place, ce n’est plus la même chose. Quand il y a de l’instabilité partout, ça a inévitablement une incidence sur le sportif. Si les choses ne sont pas claires, rien n’est clair pour personne ! Les joueurs, le staff sportif, les agents, les supporters, tout le monde se pose des questions. À partir du moment où tu fais cohabiter un conseiller du président et un directeur sportif, c’est condamné à exploser. Et ça a explosé. On le savait. C’était une conclusion logique.
« Bruno Venanzi avait très bien préparé sa reprise »
Avec le recul, tu es soulagé de ne plus être au Standard ? Les derniers mois, avec les banderoles qui te visaient, ça n’a pas dû être la plus belle période de ta vie !
DE SART : On était arrivés à une situation étouffante. À tous les niveaux. On sentait bien que ça devenait difficile, voire impossible, de continuer avec Duchâtelet. Sa relation avec les supporters était devenue tellement mauvaise qu’on avait compris qu’il ne pourrait jamais renverser la vapeur. Les protestations n’étaient pas tellement dirigées contre moi, c’était plus la direction dans son ensemble qui était visée. La personne de Roland Duchâtelet, puisqu’il était le propriétaire du club. On a vu la différence du jour au lendemain quand Bruno Venanzi a repris le club. Il a eu la bonne communication, et en un claquement de doigts, tout s’est inversé. L’ambiance a changé du tout au tout. Il avait très bien préparé sa reprise. Dans sa communication, il a insisté sur le fait qu’il était liégeois et supporter du Standard. Venanzi a le profil que les supporters attendaient. Alors qu’il n’avait encore rien fait, il avait déjà le soutien de tout le stade.
Mais après deux ans de résultats décevants, être liégeois et supporter, ça ne suffit plus. Les banderoles sont de retour. Que se passera-t-il si la troisième saison est aussi compliquée que les deux premières ?
DE SART : Être jugé sur ce qu’il représente, c’est fini. Maintenant, il est jugé sur les actes. Le crédit du début a clairement disparu. Pour en regagner, il va falloir des résultats sur le terrain. Et pour avoir des résultats sportifs, il y a des choses à améliorer à tous les niveaux. Il ne faut pas croire qu’un nouvel entraîneur va tout inverser en un claquement de doigts.
Tes fils sont des exemples de joueurs formés à l’Académie qui n’ont pas eu la confiance du club chez les pros.
DE SART : Il y a un vrai problème de formation. Et pas qu’au Standard ! Je vois la même chose à Bruges, à Anderlecht. Et s’il y a le même souci dans nos trois clubs historiques, ça veut clairement dire qu’il y a un problème structurel dans le football belge. Quels jeunes, là-bas, sont susceptibles de percer demain, de concurrencer les titulaires ? Pourtant, il y a eu des gros investissements. Le budget de fonctionnement des U21 du Standard doit être supérieur à celui des clubs de D1 amateur. À Anderlecht aussi, ils ont déboursé beaucoup pour leurs jeunes mais apparemment, ils arrêtent parce qu’ils voient que ça ne produit pas grand-chose. Là-bas, on ne sait pas dire qui viendra après Leander Dendoncker et Youri Tielemans, on est incapable de citer un nom. Quand je vois que le Standard loue dix ou quinze joueurs, je me dis que ça n’a pas de sens, qu’on ne fait pas confiance à l’Académie. Quand je vois qu’Olivier Deschacht reçoit un nouveau contrat parce que ça fait au moins un Belge qu’on pourra mettre sur la feuille de match, je me pose des questions.
« Impossible d’avoir une bonne mentalité si tu bouscules ton vestiaire tous les six mois »
C’est comme ça que tu interprètes son nouveau contrat ?
DE SART : S’il était serbe ou français, je ne pense pas qu’on lui aurait proposé de rester. Mais il y a ce quota de joueurs belges à respecter. Le passage du centre de formation à l’équipe professionnelle reste problématique partout. Mais c’est difficile à solutionner s’il n’y a pas une politique forte de la direction. Si tu mets un jeune en équipe Première, tu sais qu’il va faire des erreurs mais tu te doutes qu’il t’apportera des satisfactions à plus long terme. Au Standard, on se plaint de la mentalité, mais c’est impossible d’avoir une bonne mentalité si tu bouscules le vestiaire tous les six mois. Et on parle d’ADN, toujours l’ADN, ça revient souvent dans les discours. Mais qui fait l’ADN d’un club ? Pas les dirigeants. Pas les supporters. L’ADN, c’est transmis par les joueurs formés sur place.
Mes fils, on peut en reparler ! Quand Julien a eu des problèmes avec Yannick Ferrera, la direction devait intervenir, le soutenir, même exiger qu’il devienne un pion important de l’équipe. Au lieu de ça, elle n’a pas bougé. Mais ton coach, il n’est que de passage, alors que les jeunes de ton centre, ils devraient toujours être protégés. Maintenant, tout n’est pas non plus la faute des clubs. Aujourd’hui, un jeune de 18 ans, souvent, il s’entraîne avec les pros et il joue le championnat U21. Mais il a besoin d’une vraie compétition d’adultes, d’un environnement concurrentiel. On a complètement loupé la réforme de la D1B. Avoir fait une série à huit équipes, c’est aberrant. Il fallait seize clubs, en intégrant des équipes formées avec des jeunes de clubs de D1A qui avaient envie de participer.
Il faut arrêter de croire que tout va bien dans la formation à la belge ! On le croit peut-être chez nous. On le croit aussi ailleurs. Quand des gens du monde entier voient autant de Belges dans les meilleurs clubs du championnat d’Angleterre, ils en déduisent directement que notre système de formation est exemplaire. Et nous, on continue à vivre sur cette vague, sur ces commentaires flatteurs venus de l’étranger. Mais il faut déjà enlever tous les Diables Rouges qui ont été formés dans d’autres pays ! Et puis, il y a les résultats de nos sélections de jeunes. Ces résultats-là ne mentent pas.
Le meilleur exemple, ce sont les dernières générations d’Espoirs, ces gars qu’on présente comme des surdoués mais qui n’arrivent plus à se qualifier pour rien du tout ? …
DE SART : J’étais le coach de l’équipe Espoirs quand elle est allée pour la dernière fois à un EURO. C’était en 2007. Oui, il y a dix ans ! Il y a un Championnat d’Europe chaque année pour les U17 et les U19 mais on n’y va plus. On n’y arrive plus. Être au moins une fois sur deux dans le Top 8 européen, ça devrait être jouable, quand même ? On parle encore de nos U17 qui ont brillé à la Coupe du Monde, mais à côté de ça, qu’est-ce qu’on a eu comme satisfactions ? Il faut absolument se poser les bonnes questions sur la formation en Belgique. Est-ce qu’on est dans le bon ? Oui, on a eu des très bonnes générations d’Espoirs. Quand tu as des équipes articulées autour de gars comme Yannick Carrasco, Michy Batshuayi, Paul-José Mpoku, Junior Malanda, tu dois normalement pouvoir arriver à quelque chose ! Mais la vérité, ce n’est pas celle de la notoriété des joueurs. C’est celle du terrain. Est-ce que la préparation est suffisante ? Est-ce que l’encadrement est suffisant dans les sélections de jeunes ?
« Ne pas avoir été choisi comme coach des Diables, ça reste un manque »
L’équipe actuelle des Diables, c’est un peu ton équipe des Jeux de Pékin en 2008. Tu ne t’attendais pas à ce qu’elle arrive plus vite plus haut ?
DE SART : Oui, il y a pas mal de joueurs de Pékin qui sont arrivés chez les A. Vincent Kompany, Laurent Ciman, Thomas Vermaelen, Jan Vertonghen, Marouane Fellaini, Mousa Dembélé, Kevin Mirallas. En plus d’Axel Witsel, que j’avais dû laisser à la disposition du Standard parce qu’il y avait les préliminaires de la Ligue des Champions. Moi aussi, je pensais que les Diables allaient profiter plus vite de l’effet Jeux olympiques. Je m’attendais à ce qu’ils aillent peut-être déjà à la Coupe du Monde en 2010, et en tout cas, ils auraient dû aller à l’EURO 2012. On n’a peut-être pas fait assez vite confiance à la génération de Pékin. On a perdu du temps.
Choisir un sélectionneur espagnol, c’est reconnaître qu’on n’a pas ce qu’il nous faut en Belgique ?
DE SART : Il y a le contexte linguistique, c’est compliqué. Personne ne s’imposait à la fois en Wallonie et en Flandre, à part Michel Preud’homme. À partir du moment où il n’était pas disponible, c’était une bonne idée de prendre un étranger. L’équipe nationale était dans une bonne dynamique et on ne pouvait pas se permettre de repartir dans une polémique Flamands – Wallons. Il suffit de repenser aux derniers sélectionneurs. Georges Leekens, Aimé Anthuenis et René Vandereycken avaient toujours leurs partisans en Flandre mais ils se faisaient démolir ici. Pour Robert Waseige et Marc Wilmots, c’était l’effet inverse. C’est apparemment inévitable.
Moi aussi, j’ai connu ça. Avant le départ pour Pékin, j’ai été un peu taclé par la presse néerlandophone. Même chose l’année avant, au moment de l’EURO. Heureusement, les résultats des Espoirs ont assez vite éteint la polémique. Puis, ça a repris quand on a parlé de moi pour remplacer René Vandereycken comme coach des Diables. Il y a eu un problème linguistique, c’est clair. J’ai été torpillé par la presse flamande. Et aussi par quelques dirigeants flamands de la Fédération. En toute logique, la place me revenait ! Si une fédé a un vrai projet, elle doit faire monter son coach des Espoirs au moment où ses joueurs arrivent en équipe A. Aujourd’hui, ça reste un manque chez moi.
La saison de ses gamins
« Le Standard aura toujours une place à part dans le coeur de mes fils. Ça reste leur club formateur, c’est là qu’ils sont devenus pros. On n’oublie jamais son premier amour. Mais ils ont tous les deux eu une occasion de changer d’air en janvier de l’année passée, ils ont foncé, ils sont heureux de leur choix. »
« Quand Julien a signé à Middlesbrough, l’équipe était largement en tête de la D2. Puis elle a commencé à perdre des points et elle n’est finalement montée qu’au tout dernier match. C’était compliqué de lancer un joueur qui avait été recruté pour la saison suivante. L’été dernier, il a fait une bonne préparation, mais il n’a finalement pas joué en Premier League. Il a dû se contenter d’être repris régulièrement dans les 18. Il voulait du temps de jeu et il est parti à Derby County en prêt, en janvier. Middlesbrough ne voulait pas entendre parler d’une option d’achat, c’est un signe. Rien n’a encore été décidé pour la saison prochaine, mais en théorie, il reste là-bas. Boro est retombé en Championship mais veut remonter au plus vite. Tous les échos du club sur lui sont positifs. »
« Ici, personne ne connaît le niveau et l’engouement en Championship. Je suis allé voir plusieurs matches, c’est impressionnant. Sur le terrain, il y a énormément d’intensité. Dans les tribunes, c’est la grosse ambiance. Derby County a joué la plupart de ses matches à domicile devant 30.000 personnes. Et quand tu visites les centres d’entraînement, tu as l’impression de débarquer sur une autre planète. À Derby, tu as une quinzaine de terrains de qualité et des caméras autour de chaque pelouse. Ça permet au propriétaire de suivre en direct tous les entraînements qu’il veut, où qu’il soit. »
« Alexis est devenu titulaire avec Saint-Trond pendant les PO2. Et il s’est bien montré. Il a pris plein de confiance. S’il est dans ce club, c’est parce qu’il était apprécié par Roland Duchâtelet. Il a fait un choix judicieux en quittant le Standard pour aller là-bas. »
Commentaires
Commentaires