L’histoire de Renaud Emond au Standard ressemble à une relation d’amour-haine. À du masochisme aussi. Depuis deux ans et demi, le Gaumais alignait les rendez-vous manqués, sans pour autant prendre la tangente. Parce qu’il n’a jamais eu qu’un seul objectif : réussir chez les Rouches.
Sclessin termine son mois de janvier. Le Standard reçoit le Club Bruges à l’occasion de la demi-finale aller de la Coupe. Pour l’occasion, Renaud Emond se met sur son 31. Alors qu’il vient de scorer lors de la défaite à Zulte Waregem quelques jours plutôt, il signe un coup du chapeau – le premier de sa carrière – aussi inattendu que la performance de son matricule 16. Victoire 4-1 du RSCL, qui prend une sérieuse option pour la finale. Un retour en grâce presque inespéré.
Lorsqu’il fait trembler les filets, le Gaumais mime un phénix comme pour signifier qu’il revient de parmi les morts. Il renaît clairement de ses cendres, deux ans et demi après avoir paraphé un contrat valable jusqu’en juin 2020. On le sent libéré, enfin épanoui. Mais que ce fut long…
» Cela montre son tempérament « , tamponne Frank Defays, néo-coach de Mouscron, qui l’a eu sous ses ordres à l’Excelsior Virton, où il explose, de 2011 à 2013. » Je commence à retrouver le Renaud de cette époque. Rien que dans son expression corporelle ou sur son visage, on peut lire qu’il est de nouveau heureux. »
Papa depuis le 5 janvier, Emond a grandi, n’arbore plus son faciès de poupon. Il s’est épaissi et endurci. Il a pris du » body « , selon les mots crus mais affectueux de son père, Philippe Emond.
» Avant, il était gaulé comme un câble de frein. Aujourd’hui, il est devenu un athlète « , observe-t-il, capable de citer le nombre exact de minutes disputées, de buts marqués et d’assists distribués par sa progéniture. Depuis la mi-janvier, tout s’enchaîne. Les titularisations, les buts, les assists. Soit davantage que sur l’ensemble de son parcours mosan jusqu’ici, loin d’être une promenade de santé.
Malgré tout, tout le monde souligne sa mentalité exemplaire, son travail positif pour le groupe. Renaud Emond aurait pu baisser les bras, partir au clash, il est resté et s’est battu pour sa place. Une abnégation rarissime dans le foot moderne.
» Les entraîneurs se sont accumulés et le constat d’échec restait le même. Il n’a pas su convertir le peu d’occasions qu’on lui a données, mais il n’a pas non plus eu la chance de s’exprimer sur le long terme. Il manquait de confiance « , pose Matthieu Dossevi, son compère sur les deux précédents exercices, désormais loué au FC Metz.
Panic buy
À l’instar de l’ailier franco-togolais, Emond débarque sur les bords de Meuse dans les derniers instants du mercato d’été 2015. La transaction a tout du panic buypour le Standard, qui vit l’un des pires départs de son histoire et qui cherche à se renforcer du mieux possible. Pourtant, les deux parties se font déjà du pied dès le mois de février.
Emond a l’avantage de connaître le championnat et, surtout, de sortir une feuille de route à 14 banderilles. S’il est convoité par les gros calibres nationaux, le natif de Virton fait le choix du coeur. Une passion qu’il nourrit depuis son premier but inscrit en D1, avec Waasland-Beveren, à Sclessin, en octobre 2013.
Comme si c’était écrit. » Qu’il signe là, c’était comme dans un rêve « , rembobine son géniteur, Philippe, qui met fin à son mandat de président du RE Virton fin 2016. » Pour le club aussi, le profil était parfait : un jeune Wallon, buteur, avec une belle gueule et un bon comportement. Au début, il y avait plein d’espoirs. »
Sauf que le Standard nage en eaux troubles. La veille de son arrivée, le RSCL coule à Bruges (7-1). Dans la foulée, Yannick Ferrera remplace Slavo Muslin sur le banc liégeois. Le technicien doit relancer la machine et opte pour un 4-3-3 où Ivan Santini évolue seul en pointe. S’il apprécie Renaud Emond, il le considère plutôt comme un attaquant de complément.
Le jeune buteur a besoin de temps, le Standard ne peut pas le lui offrir. » On estimait qu’il y avait des meilleurs joueurs que lui, en termes de valeurs intrinsèques « , explique Yann Daniélou, l’adjoint de Ferrera, qui ne peut » rien lui reprocher « . » Mais on ne peut pas dire qu’on s’est trompé en utilisant Santini. Notre système permettait aussi de mettre en valeur la qualité de nos ailiers. »
En concurrence avec Mohamed Yattara, Emond score quand même deux buts synonymes de points, dont celui victorieux lors du succès rocambolesque à Charleroi (2-3). Puis, plus rien.
Au fond du trou
» Au début, il n’avait peut-être pas les capacités nécessaires pour s’imposer, mais c’était aussi dû à la situation du club. Il fallait des vrais guerriers, des tueurs, des mecs égoïstes. Ce n’est pas vraiment son style à la base « , analyse Will Still, dans le staff rouche à l’époque et aujourd’hui au Lierse.
» Renaud, c’est ce genre d’attaquants qui a besoin de jouer et d’enchaîner les matches. Ce n’est pas un joker qui va rentrer sur trois ou quatre bouts de matches et être décisif. » La saison médiocre du RSCL, sauvé par le succès en Coupe, ne facilite pas les choses. Un bon mois avant la finale, Emond est prié d’aller s’entraîner avec les U21.
» Tu sentais que c’était vraiment dur pour lui, mais qu’au fond, il comprenait et n’allait jamais abandonner « , se souvient Still.
Mai 2016 : le départ d’ Axel Lawarée, le directeur sportif qui l’a fait venir, fragilise un peu plus sa situation. Le Gaumais comptabilise un bilan compliqué, à base de 21 rencontres de championnat pour deux petits buts. Il discute alors d’une possibilité de prêt avec son directoire. Lokeren se montre très insistant, sans pour autant concrétiser l’affaire.
Renaud Emond ne compte pas, non plus, quitter Sclessin sur un échec. Lors de la préparation, il donne tout, et marque notamment contre l’Olympique de Marseille (3-0), à Namur. Peu importe. Le Standard vient de signer des joueurs à la pelle et doit dégraisser, vite. En août, Emond se retrouve à végéter dans le loft liégeois, parmi les » indésirables « .
» C’était sa pire phase. Il était au fond du trou. Le fait qu’il soit bien entouré lui a permis de garder la tête hors de l’eau « , souffle son meilleur pote depuis la maternelle, Mathieu Choucard, comptable dans le civil. En cet été morose, Matthieu Dossevi le voit revenir d’un entretien avec Bruno Venanzi et Olivier Renard, nouvelle tête pensante du sportif. Le board mosan ne compte plus sur lui.
Victime de choix tactiques
» Il nous disait qu’il s’en foutait, que de toute façon, il voulait rester quoi qu’il arrive. Dans 99 % des cas, les autres joueurs seraient partis « , assure le Messin. Finalement, la direction rouche n’a pas tant de raisons de se débarrasser d’un jeune Belge qui ne démontre aucun problème d’ego.
Il sort le bleu de chauffe, encore. Mais il ne se montre pas capable de tenir la comparaison avec le nouvel arrivage devant, entre Orlando Sa (14 buts) et Ishak Belfodil (11). Même Benito Raman lui est préféré.
» C’étaient de purs choix tactiques « , dit Aleksandar Jankovic, l’entraîneur du moment. » Il y avait beaucoup de qualités offensives dans l’effectif. Et on ne peut pas dire que ça n’ait pas marché avec Sa, Belfodil ou Raman. »
Résultat : une saison noire, avec neuf joutes, pour deux roses et deux titularisations. La seconde, le 4 février 2017, c’est Courtrai qui se pointe rue Ernest Solvay. Les Kerels l’emportent 0-3. La débandade.
Jankovic : » Il n’a pas été mauvais, c’est l’ensemble du collectif qui n’a pas fonctionné. Ce que je retiens surtout, c’est sa motivation et son positivisme de tous les instants. »
Emond ne retrouve plus sa confiance, frappée de plein fouet par l’arrivée avec temps de jeu quasi-immédiat de Jonathan Bolingi. Un énième coup dur qui donne l’impression que quoi qu’il fasse, Emond sera la dernière roue du carrosse liégeois.
Une épée de Damoclès au-dessus de la tête
Le prêt du Congolais est assorti d’une option d’achat et il doit d’abord faire ses preuves. » La concurrence, c’est la réalité du foot. On avait besoin d’un rafraîchissement « , coupe Jankovic. » On ne m’a pas demandé de faire jouer Bolingi plutôt qu’Emond. Le club qui m’emploie sait toujours que je fais en fonction de ce que je vois et de ce que je ressens. »
Après la débâcle courtraisienne, Emond ne foule plus le terrain lors de la phase classique. » Quand tu n’as pas de rythme, tu as encore plus de pression. Soit tu saisis ta chance, soit t’es mort. Tu joues avec une espèce d’épée de Damoclès au-dessus de la tête, et puis c’est la spirale négative, le chat qui se mord la queue « , métaphorise Dossevi, poète.
En avril, José Jeunechamps reprend les rênes. Le désormais adjoint de Franky Vercauteren au Cercle de Bruges, change de système pour passer en 4-4-2. Ce qui convient parfaitement au style Emond, qui retrouve le chemin des filets.
» Quand je suis arrivé, je l’ai récupéré dans un état psychologique faible. Il avait vécu des choses compliquées. J’ai dû beaucoup discuter avec lui. Ça a été très franc. Il m’a ouvert son coeur et il m’a touché.
Dès qu’on a décidé de remettre les choses à l’endroit, j’ai commencé à avoir face à moi un tout autre joueur « , exprime Jeunechamps qui, le temps de trois joutes de play-offs 2 et d’un neuf sur neuf, remet le sourire au milieu du visage d’Emond.
Outre les supporters, qui font preuve d’une indulgence rare à son égard, notamment parce qu’ils s’identifient à son profil du cru, généreux et travailleur, il se sent réellement soutenu et désiré. Pour la première fois.
Courtrai fait le forcing pour le recruter
Aujourd’hui, le vent tourne. Orlando Sa parti, sa position de titulaire se renforce. Sans pour autant donner l’impression qu’elle est indiscutable. Comme s’il venait de remporter un concours de circonstances.
Cet été, il est tout proche de s’engager avec Willem II, qui ne s’entend pas financièrement avec le Standard. Si Ricardo Sa Pinto se montre davantage à l’écoute, le présent exercice démarre sensiblement comme ses prédécesseurs. Cet hiver, Rennes et Courtrai, dirigé par Glen de Boeck, l’homme qui l’a lancé à Waasland-Beveren, font le forcing pour le recruter.
Une fois de plus, ni les Rouches, ni le clan Emond, désormais représenté par Jacques Lichtenstein, ne se mettent d’accord. En tribunes pour l’amical du matricule 16 contre Düsseldorf au cours du stage espagnol, il pense encore son avenir bouché.
Sauf qu’une prestation remarquée lors d’une opposition à l’entraînement met le doute dans l’esprit de Sa Pinto, qui se décide à le titulariser pour la reprise, face à Eupen. Le Standard l’emporte, Emond plante. On connaît la suite…
» Il a pris tellement de coups psychologiques que ça aurait pu le miner « , termine Dossevi. » Mais lui, son discours, a toujours été le même : Ils peuvent me faire ce qu’ils veulent, je réussirai au Standard. »
TROP GENTIL ?
Le buteur de 26 ans marche sans conteste à l’affectif. » Il aurait pu faire grève, dire qu’il n’allait pas jouer, mais ça ne lui ressemble pas « , profile Matthieu Dossevi. » Tant mieux, mais si tu es trop comme ça, les clubs peuvent aussi s’en servir. Ce n’est pas dans la nature de Renaud de taper du poing sur la table. Sur les deux ans où je l’ai côtoyé, il aurait pu, pour pouvoir jouer davantage. » Non, Emond vivote entre banc, tribunes et noyau U21 sans sourciller.
Et sans broncher. » Du Renaud Emond tout craché « , juge Dossevi. Un côté » trop gentil » qui ne l’aide pas non plus à s’imposer quand, à l’inverse, son père tente tout pour qu’il sorte de l’impasse. » À force de lui dire de bosser, j’avais l’impression de faire tourner un disque rayé « , soupire Philippe Emond, qui préfère parler » valeurs » que défaut de gentillesse.
Un altruisme pourtant à double tranchant. » Il met tout au service de l’équipe. C’est une grande qualité, mais il le fait parfois à son détriment. Un attaquant doit être un minimum égoïste « , remarque José Jeunechamps, qui l’aurait bien ramené du côté de la Venise du Nord. Will Still synthétise : » Sans être méchant, ce n’est pas difficile pour un entraîneur de le mettre sur le banc. Il ne va jamais faire sentir son mécontentement devant le groupe. »